La malle volante
2006.03.16. 21:07
Il tait une fois un marchand, si riche qu'il eût pu paver toute la rue et presque une petite ruelle encore en pièces d'argent, mais il ne le faisait pas. Il savait employer autrement sa fortune et s'il dpensait un skilling', c'est qu'il savait gagner un daler. Voilà quelle sorte du marchand c'tait - et puis, il mourut. Son fils hrita de tout cet argent et il mena joyeuse vie; il allait chaque nuit au bal masqu, confectionnait des cerfs-volants avec des riksdalers de papier, et faisait des ricochets sur la mer avec des pièces d'or à la place de pierres plates. A ce train, l'argent filait vite... A la fin, le garon ne possdait plus que quatre shillings et ses seuls vêtements taient une paire de pantoufles et une vieille robe de chambre.
Ses amis l'abandonnèrent puisqu'il ne pouvait plus se promener avec eux dans la rue. Mais l'un d'entre eux, qui tait bon, lui envoya une vieille malle en lui disant: Fais tes paquets!
C'tait vite dit, il n'avait rien à mettre dans la malle. Alors, il s'y mit lui-même.
Quelle drle de malle! si on appuyait sur la serrure, elle pouvait voler.
C'est ce qu'elle fit, et pfut! elle s'envola avec lui à travers la chemine, très haut, au-dessus des nuages, de plus en plus loin. Le fond craquait, notre homme craignait qu'il ne se brise en morceaux, il aurait fait une belle culbute! Grand Dieu! ... et puis, il arriva au pays des Turcs. Il cacha la malle dans la forêt, sous des feuilles sèches,
Quand nous tions parmi les rameaux verts, soupiraient-elles, on peut dire C'tait la belle vie. C'tait matin et soir th de diamants - la rose - toute la journe le soleil quand il brillait - et les oiseaux pour nous raconter des histoires.
Et nous nous sentions riches! Les arbres à feuillages n'taient vêtus que l't. Nous, nous avions les moyens d'être habilles de vert t comme hiver. Mais les bûcherons sont venus et a a t la grande rvolution: notre famille fut disperse.
Notre père le tronc fut plac comme grand mt sur un splendide navire qui pouvait faire le tour du monde, s'il le voulait; les autres branches furent utilises ailleurs, et notre sort, à nous, est maintenant d'allumer les lumières pour les gens du commun. C'est pourquoi nous, gens de qualit, avons chou à la cuisine.
- Mon histoire est toute diffrente, dit la marmite. Depuis que je suis venue au monde, on m'a rcure et fait bouillir tant de fois! je pourvois au substantiel et suis rellement la personne la plus importante de la maison. Ma seule joie c'est, après le repas, de m'tendre propre et rcure sur une planche et de tenir la conversation avec les camarades. Mais à l'exception du seau d'eau qui, de temps en temps, descend dans la cour, nous vivons très renferms. Notre seul agent d'information est le panier à provisions, mais il parle avec tant d'agitation du gouvernement et du peuple! Oui, l'autre jour, un vieux pot, effray de l'entendre, est tomb et s'est cass en mille morceaux - il a des ides terriblement avances, vous savez!
- Tu parles trop, dit le briquet. Son acier frappa la pierre à fusil qui lana des tincelles. Tchons plutt de passer une soire un peu gaie.
Oui, dirent les allumettes. Cherchons qui sont, ici, les gens du plus haut rang. -Non, je n'aime pas à parler de moi, dit le pot de terre, ayons une soire de simple causerie. je commencerai. Racontons quelque chose que chacun a vcu, c'est bien facile et si amusant.
- Au bord de la Baltique, sous les hêtres danois ...
- Quel charmant dbut! interrompirent les assiettes. Nous sentons que nous Baignerons cette histoire!
Oui, j'ai pass là ma jeunesse dans une paisible famille. Les meubles taient cirs, les parquets lavs, les rideaux changs tous les quinze jours.
Comme vous racontez d'une manière intressante! dit le balai à poussière. On se rend compte tout de suite que c'est une femme qui parle; il y a quelque chose de si propre dans votre rcit.
- Oui, a se sent, dit le seau d'eau. Et, de plaisir, il fit un petit bond et l'on entendit "platch" sur le parquet.
Le pot de terre continua son rcit dont la fin tait aussi bonne que le commencement. Les assiettes s'entrechoquaient d'admiration, et le balai prit un peu de persil et en couronna le pot parce qu'il savait que cela vexerait les autres, et aussi parce qu'il pensait: "Si je le couronne aujourd'hui, il me couronnera demain." Maintenant, je vais danser pour vous, dit la pincette.
Et elle dansa. Grand Dieu! comme elle savait lancer la jambe! La vieille garniture de chaise, dans le coin, craqua d'intrêt devant ce spectacle.
- Est-ce que je serai couronne ? demanda la pincette. Et elle le fut.
- Comme elle est vulgaire, pensèrent les allumettes.
C'tait au tour de la bouilloire à th de chanter, mais elle prtendait avoir un rhume et ne pouvoir chanter qu'au moment de bouillir. Ce n'tait qu'une poseuse qui ne voulait se produire que sur la table des matres.
Sur la fenêtre, il y avait une vieille plume dont la servante se servait pour crire. Elle n'avait rien de remarquable sinon qu'elle avait t plonge trop profondment dans l'encrier ce dont elle tirait grande vanit.
- Si la bouilloire à th ne veut pas chanter, dit-elle, elle n'a qu'à s'abstenir. Il y a là dehors, dans une cage, un rossignol. Lui sait chanter quoiqu'il n'ait jamais appris. Il nous suffira pour ce soir.
- Je trouve fort inconvenant, dit la bouilloire qui tait la cantatrice de la cuisine, qu'un oiseau tranger se produise ici. Est-ce patriotique ? J'en fais juge le panier à provisions.
- Je suis vex, dit le panier à provisions, plus que vous ne le pensez peut-être! Est-ce une manière convenable de passer la soire? Ne vaudrait-il pas mieux rformer toute la maison, mettre chacun à sa place! je dirigerais le mouvement. Ce serait autre chose.
Oui, faisons du chahut ! s'crièrent-ils tous.
A cet instant, la porte s'ouvrit, la servante entra. Tous devinrent muets. Personne ne broncha plus, mais il n'y avait pas un seul petit pot qui ne fut conscient de ses possibilits et de sa distinction.
- Si j'avais voulu, pensaient-ils tous, cela aurait vraiment pu être une soire très gaie.
La servante prit les allumettes et les gratta. Comme elles crpitaient et flambaient!
- Maintenant, tout le monde voit bien que nous sommes les premières. Quel clat! Quelle lumière
Ayant dit, elles s'teignirent.
- Quel charmant conte, dit la reine. je croyais être à la cuisine avec les allumettes. Oui, tu auras notre fille.
- Bien sûr, dit le roi, tu auras notre fille lundi.
Ils le tutoyaient djà puisqu'il devait entrer dans la famille.
Le mariage fut fix. La veille au soir toute la ville fut illumine, les petits pains mollets et les croquignoles volaient de tous cts, les gamins des rues se tenaient sur la pointe des pieds, criaient "Bravo! " et sifflaient dans leurs doigts. Une belle soire !
Il faut aussi que je fasse quelque chose de bien, pensa le fils du marchand.
Il acheta des raquettes, des fuses, des ptards et tous les feux d'artifices imaginables. Il les mit dans sa malle et s'envola dans les airs.
Pfutt ! Quelles gerbes et quels crpitements tombaient du ciel !
Tous les Turcs sautaient en l'air, leurs pantoufles volant par-dessus leurs oreilles. Ils n'avaient jamais rien vu de si beau. Ils taient bien persuads que c'tait le dieu des Turcs lui-même qui allait pouser la princesse.
Aussitt que le fils du marchand fut redescendu dans la forêt, il se dit :
- Je vais aller en ville pour savoir comment tout s'est pass en bas, et ce qu'on a pens de mon feu d'artifice.
Et c'tait assez naturel qu'il fût curieux de le savoir. Non ce que les gens pouvaient en dire! chacun avait vu la chose à sa faon, mais tous l'avaient vivement apprcie.
- J'ai vu le dieu des Turcs en personne, disait l'un, il avait des yeux brillants comme, des toiles et une barbe comme l'cume de la mer.
- Il portait un manteau de feu, disait l'autre, les anges les plus ravissants montraient leur tête dans ses plis. Tout cela tait fort agrable! - et le lendemain, le mariage devait avoir lieu.
Il retourna dans la forêt pour remonter dans sa malle. Où tait-elle donc? Elle avait brûl; une tincelle du feu d'artifice y avait mis le feu et la malle tait en cendres. Il ne pouvait plus voler, il ne pouvait plus se prsenter devant sa fiance.
Elle l'attendit toute la journe sur le toit de son palais. Elle l'y attend encore, tandis que lui court le monde en racontant des histoires, mais elles ne sont plus aussi amusantes que celle des allumettes.
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