La fe du sureau
2006.03.16. 21:06
Il y avait une fois un petit garon enrhum ; il avait eu les pieds mouills. Où a? Nul n'aurait su le dire, le temps tant tout à fait au sec. Sa mère le dshabilla, le mit au lit et apporta la bouilloire pour lui faire une bonne tasse de tisane de sureau cela rchauffe! Au même instant, la porte s'ouvrit et le vieux monsieur si amusant qui habitait tout en haut de là maison entra. Il vivait tout seul n'ayant ni femme ni enfants, mais il adorait tous les enfants et savait raconter tant de contes et d'histoires pour leur faire plaisir
- Bois ta tisane, dit la mère, et peut-être monsieur te dira-t-il un conte.
- Si seulement j'en connaissais un nouveau, dit le vieux monsieur en souriant doucement. Mais où donc le petit s'est-il mouill les pieds ?
- Ah ! a, dit la mère, je me le demande...
- Est-ce que vous me direz un conte ? demande le petit garon.
- Bien sûr, mais il faut d'abord que je sache exactement la profondeur de l'eau du caniveau de la petite rue que tu prends pour aller à l'cole.
- L'eau monte juste à la moiti des tiges de mes bottes, si je passe à l'endroit le plus profond.
- Eh bien voilà où nous avons eu les pieds mouills, dit le vieux monsieur. je te dois un conte et je n'en sais plus.
- Vous pouvez en inventer un immdiatement. Maman dit que tout ce que vous regardez, vous pouvez en faire un conte et que de tout ce que vous touchez peut sortir une histoire.
- Mais ces contes et des histoires ne valent rien. Les vrais doivent natre tout seuls et me frapper le front en disant : Me voilà!
- Est-ce que a va frapper bientt ? demanda le petit garon.
La maman se mit à rire, elle jeta quelques feuilles de sureau dans la thière et versa l'eau bouillante dessus.
- Racontez! racontez !
- Avec plaisir, si un conte venait tout seul, mais il est souvent capricieux et n'arrive que lorsque a lui chante. Stop ! s'cria-t-il tout d'un coup, en voilà un ! Attention, il est là sur la thière !
Le petit garon tourna les yeux vers la thière. Le couvercle se soulevait de plus en plus et des fleurs en jaillissaient, si fraches et si blanches; de longues feuilles vertes sortaient même par le bec, cela devenait un ravissant buisson de sureau, tout un arbre bientt qui envahissait le lit, en repoussant les rideaux. Que de fleurs, quel parfum ! et au milieu de l'arbre une charmante vieille dame tait assise. Elle portait une drle de robe toute verte parseme de grandes fleurs blanches; on ne voyait pas tout de suite si cette robe tait faite d'une toffe ou de verdure et de fleurs vivantes.
- Comment s'appelle-t-elle, cette dame ? demanda le petit garon.
- Oh! bien sûr, les Romains et les Grecs auraient dit que c'tait une dryade, mais nous ne connaissons plus tout a. Ici, à Nyboder, on l'appelle "la fe du Sureau". Regarde-la bien et coute-moi...
Il y a à Nyboder un arbre tout fleuri pareil à celui-ci; il a pouss dans le coin d'une petite ferme très pauvre. Sous son ombrage, par une belle après-midi de soleil, deux bons vieux, un vieux marin et sa vieille pouse taient assis. Arrière-grandsparents djà, ils devaient bientt clbrer leurs noces d'or, mais ne savaient pas au juste à quelle date. La fe du Sureau, assise dans l'arbre, avait l'air de rire. "je connais bien, moi, la date des noces d'or! " Mais eux ne l'entendaient pas, ils parlaient des jours anciens.
- Te souviens-tu, disait le vieux marin, du temps que nous tions petits, nous courions et nous jouions justement dans cette même cour où nous sommes assis et nous piquions des baguettes dans la terre pour faire un jardin.
- Bien sûr, je me rappelle, rpondit sa femme. Nous arrosions ces branches tailles et l'une d'elles, une branche de sureau, prit racine, bourgeonna et devint par la suite le grand arbre sous lequel nous deux, vieux, sommes assis.
- Oui, dit-il, et là, dans le coin, il y avait un grand baquet d'eau, mon bateau, que j'avais taill moi-même, y naviguait! Mais bientt, c'est moi qui devais naviguer d'une autre manière.
- Mais d'abord nous avions t à l'cole pour tcher d'apprendre un peu quelque chose ; puis ce fut notre confirmation, on pleurait tous les deux. L’après-midi, nous montions tout au haut de la Tour Ronde, la main dans la main, et nous regardions de là-haut le vaste monde, et Copenhague et la mer. Après, nous sommes alls à Frederiksberg, où le roi et la reine, dans leurs barques magnifiques, voguaient sur les canaux.
- Mais je devais vraiment voguer tout autrement, et durant de longues annes, et pour de grands voyages!
- Ce que j'ai pleur à cause de toi ! dit-elle, je croyais que tu tais mort et noy, tomb tout au fond de la mer. Souvent, la nuit, je me levais et regardais la girouette pour voir si elle tournait. Elle tournait tant et plus, mais toi tu n'arrivais pas. je me souviens si bien de la pluie torrentielle qui tombait un jour. Le boueur devait passer devant la maison où je servais; je descendis avec la poubelle et restai à la porte. Quel temps! Et comme j'attendais là, le facteur passa et me remit une lettre, une lettre de toi ! Ce qu'elle avait voyag ! Je me jetai dessus et commenai à lire, je riais, je pleurais, j'tais si heureuse! Tu crivais que tu tais dans les pays chauds où poussent les grains de caf. Quel pays bni ce doit être ! Tu en racontais des choses, et je lisais tout a debout, ma poubelle près de moi, tandis que la pluie tombait en tourbillons. Tout d'un coup, derrière moi, quelqu'un nie prit par la taille...
- Et tu lui allongeas une bonne claque sur l'oreille...
- Mais je ne savais pas que c'tait toi! Tu tais arriv en même temps que la lettre et tu tais si beau! ... Tu l'es encore. Tu avais un grand mouchoir de soie jaune dans la poche et un surot reluisant. Tu tais très lgant. Dieu, quel temps et comme la rue tait sale !
- Ensuite nous nous sommes maris, dit-il; tu te souviens quand nous avons eu le premier garon, et puis Marie, et Niels et Peter et Hans Christian?
- Oui, tous grands et tous de braves gens que tout le monde aime.
- Et leurs enfants, à leur tour, ont eu des petits ! dit le vieil homme, de solides gaillards aussi ! Il me semble que c'est bien à cette poque-ci de l'anne que nous nous sommes maris ?
- Oui, c'est justement aujourd'hui le jour de vos noces d'or, dit la fe du Sureau en passant sa tête entre eux deux. Ils crurent que c'tait la voisine qui les saluait, ils se regardaient, se tenant par la main.
Peu après arrivèrent les enfants et petits-enfants; ils savaient, eux, qu'on fêtait les noces d'or, ils avaient djà le matin apport leurs voeux. Les vieux l'avaient oubli, alors qu'ils se rappelaient si bien ce qui s'tait pass de longues annes auparavant.
Le sureau embaumait, le soleil couchant illuminait les visages des vieux et les rendait tout rubiconds, le plus jeune des petits enfants dansait tout autour et criait, tout heureux que ce fût jour de fête, qu'on allait manger des pommes de terre chaudes. La fe du Sureau souriait dans l'arbre et criait "Bravo" avec les autres.
- Mais ce n'est pas du tout un conte, dit le petit garon qui coutait.
- Tu dois t'y connatre, dit celui qui racontait. Demandons un peu à notre fe.
Ce n'tait pas un conte, dit-elle, mais il va venir maintenant. De la ralit nat le plus merveilleux des contes, sans quoi mon dlicieux buisson ne serait pas jailli de la thière.
Elle prit le petit garon dans ses bras contre sa poitrine. La verdure et les fleurs les enveloppant formaient autour d'eux une tonnelle qui s'envola avec eux à travers l'espace. Voyage dlicieux. La fe tait devenue subitement une petite fille, en robe verte et blanche avec une grande fleur de sureau sur la poitrine, et -sur ses blonds cheveux boucls, une couronne. Ses yeux taient si grands, si bleus! Quel plaisir de la regarder! Les deux enfants s'embrassèrent, ils avaient le même ge et les mêmes goûts.
La main dans la main, ils sortirent de la tonnelle et les voici dans leur jardin fleuri. Sur le frais gazon de la pelouse, la canne du père tait reste; simple bois sec, elle tait vivante pour les petits. Sitt qu'ils l'enfourchèrent, le pommeau poli se transforma en une belle tête hennissante, la noire crinière voltigeait. Quatre pattes à la fois fines et fortes lui poussèrent, l'animal tait robuste et fougueux. Au galop, ils tournaient autour de la pelouse. Hue ! Hue !
Nous voilà partis, dit le petit garon, à des lieues de chez nous, nous allons jusqu'au chteau où nous tions l'an pass. Et ils tournaient et tournaient autour de la pelouse, la petite fille, qui n'tait autre que la fe, s'criait:
- Nous voici dans la campagne, vois-tu la maison du paysan avec le grand four qui a l'air d'un immense oeuf sur le mur du ct de la route, le sureau tend ses branches au-dessus et le coq gratte la terre pour les poules et se rengorge ! Nous voici à l'glise, elle est tout en haut de la cte, au milieu des grands chênes dont l'un est presque mort. Et nous voici à la forge où brûle un grand feu, où des hommes à moiti nus tapent de leurs marteaux, faisant voler les tincelles de tous cts. En route, en route vers le beau chteau !
Tout ce dont parlait la petite fille assise derrière, sur la canne, se droulait devant eux; le garon le voyait, et cependant ils ne tournaient qu'autour de la pelouse.
Ensuite ils jouèrent dans l'alle et dessinèrent un jardin sur le sol; la petite fille enleva une fleur de sureau de sa tête et la planta. Et cette fleur poussa exactement comme cela s'tait pass devant nos deux vieux de Nyboder, quand ils taient Petits - comme nous l'avons racont tout à l'heure.
Ils marchèrent la main dans la main, comme les vieux tant enfants, mais ils ne montèrent pas sur la Tour Ronde et ne visitèrent pas le jardin de Frederiksberg, non, la petite fille tenait le garon par la taille et ils volaient à travers le Danemark.
Le printemps se droula, puis l't, et l'automne et l'hiver; mille images se refltaient dans les yeux du garon et, dans son coeur, toujours la petite fille chantait: "Tu n'oublieras jamais tout a!" Le sureau, tout au long du voyage embaumait si exquisment. Le garon sentait bien les roses et la fracheur des hêtres, mais le parfum du sureau tait bien plus ensorcelant car ses fleurs reposaient sur le coeur de la petite fille et dans la course la tête du garon se tournait souvent vers elle.
- Comme c'est beau, ici, au printemps, dit la petite fille, tandis qu'ils passaient dans la forêt de hêtres aux bourgeons nouvellement clos; le muguet embaumait à leurs pieds et les anmones roses faisaient bel effet sur l'herbe verte. Ah! si c'tait toujours le printemps dans l'odorante forêt de hêtres danoise.
- Comme c'est beau ici, en t, dit-elle, tandis qu'à toute allure ils passaient devant les vieux chteaux du moyen ge, où les murs rouges et les pignons crnels se refltaient dans les fosss où les cygnes nageaient et levaient la tête vers les alles ombreuses et fraches. Les bls ondulaient comme une mer dans la plaine, les fosss taient pleins de fleurs rouges et jaunes et les haies de houblon sauvage et de liserons et le doux parfum des meules de foin flottait sur les prs. Le soir, la lune monta toute ronde dans le ciel. Cela ne s'oublie jamais.
- Comme c'est beau, ici, à l'automne, dit la petite, et le ciel devint deux fois plus lev et plus intensment bleu, les plus ravissantes couleurs de rouge, de jaune et de vert envahirent la forêt, les chiens de chasse galopaient à toute allure, des bandes d'oiseaux sauvages s'envolaient en criant au-dessus des tumulus où les ronces s'accrochaient aux vieilles pierres, la mer tait bleu-noir avec des voiliers blancs et dans la grange les femmes, les jeunes filles, les enfants grenaient le sureau dans un grand rcipient. Les jeunes chantaient des romances, les vieux racontaient des histoires de lutins et de sorciers.
- Comme c'est beau, ici, l'hiver! dit la petite fille. Tous les arbres couverts de givre semblaient de corail blanc. La neige crissait sous les pieds comme si l'on avait des chaussures neuves, et les toiles filantes tombaient du ciel l'une après l'autre.
Dans la salle on allumait l'arbre de Nol. C'tait l'heure des cadeaux et de la bonne humeur; dans la campagne le violon chantait; chez les paysans les beignets de pommes sautaient dans la graisse et même les plus pauvres enfants disaient: "Que c'est bon l'hiver!"
Oui, tout tait exquis quand la petite fille l'expliquait au garon. Toujours le sureau embaumait, et toujours flottait le drapeau rouge à la croix blanche, sous lequel le vieux marin de Nyboder avait navigu. Le garon devenait un jeune homme; il devait partir dans le vaste monde, loin, loin, vers les pays chauds où pousse le caf. Au moment de l'adieu, la petite fille prit sur sa poitrine une fleur de sureau et la lui tendit afin qu'il la garde entre les pages de son livre de psaumes, et, chaque fois que dans les pays trangers il ouvrait son livre, c'tait juste à la place de la fleur du souvenir.
A mesure qu'il la regardait, elle devenait de plus en plus frache, il lui semblait sentir le parfum des forêts danoises. Au milieu des ptales de la fleur, il voyait la petite fille aux clairs yeux bleus et elle lui murmurait: " Qu'il fait bon au printemps, en t, en automne, en hiver".
Des centaines d'images glissaient dans ses penses.
Les annes passèrent. Il devint un vieil homme assis avec sa femme sous un arbre en fleurs, la tenant par la main comme les aïeux de Nyboder, et, comme eux, ils parlaient des jours anciens, des noces d'or. La petite fe aux yeux bleus avec des fleurs dans les cheveux, tait assise dans l'arbre et les saluait de la tête, en disant: "C'est le jour de vos noces d'or!" Elle prit deux fleurs de sa couronne posa deux @ y
baisers, alors elles brillèrent d’abord comme de l'argent, puis comme de l'or, et, lorsqu'elle les posa sur la tête des vieilles gens, chaque fleur devint une couronne. Tous deux taient assis là, comme roi et reine, sous l'arbre odorant qui avait bien l'air d'un sureau, et le mari raconta à sa vieille l'histoire de la fe du Sureau comme on la lui avait conte quand il tait un petit garon et tous les deux trouvèrent qu'elle ressemblait à leur propre histoire, les passages les plus semblables taient ceux qui leur plaisaient le plus.
- Oui, c'est ainsi, dit la fe dans l'arbre, les uns m'appellent fe, les autres dryade, mais mon vrai nom est " Souvenir". je suis assise dans l'arbre qui pousse et qui repousse et je me souviens et je raconte! Fais-moi voir si tu as gard mon cadeau.
Le vieil homme ouvrit son livre de psaumes; la fleur de sureau tait là, frache comme si on venait de l'y dposer. Alors, "Souvenir" sourit, les deux vieux avec leur couronne d'or sur la tête, assis dans la lueur rouge du soleil couchant, fermèrent les yeux et! et! l'histoire est finie.
Le petit garon, dans son lit, ne savait pas s'il avait dormi ou s'il avait entendu un conte. La thière tait là, sur la table, mais aucun sureau n'en jaillissait, et le vieux monsieur qui avait racont l'histoire, allait justement s'en aller.
- Comme c'tait joli, maman, dit le petit garon. J'ai t dans les pays chauds. - Oui, a, je veux bien le croire, dit la mère, quand on a dans le corps deux tasses de tisane de sureau brûlante, on doit bien se sentir dans les pays chauds.
Elle remonta bien les couvertures pour qu'il ne se refroidisse plus.
- Tu as sûrement dormi pendant que je me disputais avec le monsieur pour savoir si c'tait un conte ou une histoire!
- Où est la fe du Sureau? demanda l'enfant.
- Elle est là, sur la thière, dit la mère, eh bien, qu'elle y reste.
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